Mise à la terre
Un poste source est un ouvrage industriel qui gère la jonction des lignes électriques de haute et moyenne tensions. C’est un maillon essentiel du réseau de distribution d’électricité qui a pour vocation sa répartition et l’alimentation des abonnés, ici les foyers du nord-est de Lyon. Le bâtiment est un ouvrage purement technique, régi par des directives ultra-normées, quasiment sans présence humaine et isolé dans un site industriel.
Dans le quartier de Cusset à Villeurbanne, le nouveau poste source s’inscrit dans un paysage singulier composé de lignes aériennes, de pylônes et d’autres constructions industrielles en béton et acier galvanisé. Il jouxte le canal de Jonage et la centrale hydroélectrique de Cusset, construite de 1894 à 1899, symbole du développement industriel de la ville.
L’agence a été sollicitée en parallèle du chantier du poste pour réaliser la passerelle d’accès au belvédère qui met en valeur ce monument. La passerelle, comme le poste source s’affirment comme des objets industriels obéissant à une certaine économie de moyens. Si la première est une poutre treillis en acier filigrane qui tend à s’effacer devant le barrage, le second est un ouvrage massif et tellurique construit en béton et en pisé revendiquant une certaine monumentalité dans un site sans ancrage. Tous deux cherchent à ne pas apparaître comme des objets trop dessinés dans ces lieux à la beauté insolite car tout y est régi par la stricte nécessitié du process industriel.
Les dimensions des locaux sont indexées sur la taille des machines et leur organisation fixée par un cahier des charges très strict, contraignant fortement la question de la mise en forme du projet. Si cet exercice semble alors échapper à certaines questions architecturales habituelles, Tectoniques y a trouvé l’occasion d’un récit constructif autour de la minéralité et de la filiation entre pisé et béton.
Le projet prend racine dans la terre. Ses murs en pisé, mariés au béton, en sont l’expression. Ici, tout vient ou va dans la terre. La simplicité volontaire de son vocabulaire industriel répond à des exigences techniques élevées tout en gardant un ensemble de détails soignés, la quête d’un archaïsme savant.
Un monument industriel
Abritant essentiellement des locaux techniques, le bâtiment est très fermé, c’est un projet de murs, massif. Ils y tiennent une place décisive et lui offrent une matérialité. Les matériaux choisis sont bruts, sans détour. Deux existent déjà sur le site : le béton et l’acier galvanisé. La terre vient en plus et propose un nouveau langage. Sa texture granuleuse, plus douce, sa couleur plus chaude contraste avec le béton lisse. Elle ne détonne pas, conserve une écriture rustique. Elle complète le béton, qui assure la structure. L’utilisation exclusive de ces trois matériaux incarne l’identité industrielle, belle et dépouillée.
La terre, de provenance locale, est mise en œuvre de manière traditionnelle, suivant la technique de compression par couches successives. Les murs de terre ont été construits par des artisans spécialisés, avec l’accompagnement de l’association CRAterre pendant les études et du bureau d’études BE Terre pendant le chantier.
La proposition architecturale est très imposante, monumentale, plus que ne l’exigeait le programme. Elle fait écho à la Centrale Hydroélectrique historique de Cusset située à quelques centaines de mètres, sur le Canal de Jonage. Les architectes s’inspirent des bâtiments industriels du 19° siècle, dessinés et composés, qui font corps avec leur paysage.
La forme générale de l’édifice reste volontairement simple : un corps central en béton brut flanqué de deux ailes latérales en terre. Elles sont percées de portes en acier galvanisé, construites sur-mesure, pour accéder aux locaux techniques situés de part et d’autre du bâtiment. Au nord, elles se déploient aléatoirement au gré des espaces à desservir ; au sud, elles répondent à une composition régulière et tramée qui accentue la monumentalité du projet. Elles sont soulignées par un encadrement de béton, dont le linteau prend exagérément la même hauteur que le soubassement (40 cm) pour accueillir de l’éclairage et contraste avec la finesse feinte des jambages.
Des éléments métalliques en acier galvanisé, portes, serrureries, ventelles, crinolines, couvertines, fins luminaires extérieurs complètent cette palette de matériaux volontairement restreinte. Un caniveau en profilés d’acier ceinture le bâtiment et dessine proprement sa limite. Ici, tous les équipements métalliques sont mis à la terre, à travers des plats en cuivre surlignant les contours des espaces.
La création d’une intériorité
L’ambiance extérieure du site est imprégnée d’une atmosphère strictement industrielle : champs de pylônes, caténaires, crépitements des lignes électriques aériennes, sables et graviers, clôtures bétonnées. Le nouveau poste source y prend place, à l’image d’un mausolée. Bientôt il sera ceinturé, à six mètres de distance, d’une enceinte protégée et parfaitement close de palplanches en béton.
Pour répondre à ce contexte, abrupt au premier abord, et à un organigramme fonctionnel extrêmement contraint, les concepteurs ont fait le choix de dilater le programme au-delà du strict besoin technique en créant une haute nef en béton brut qui forme la colonne vertébrale du poste.
On y accède, par deux grandes portes métalliques de cinq mètres de haut à chaque extrémité.
La proportion très élancée de l’espace intérieur, avec une hauteur de dix mètres pour seulement trois mètres de large, forme une séquence spectaculaire qui met en scène le fonctionnement du poste source. Dans sa partie supérieure et de part et d’autre, des ventelles d’aluminium assurent la ventilation et apportent de la lumière naturelle au cœur du bâtiment. De nuit, l’éclairage intérieur affiche une longue et énigmatique bande de lumière, dans le ciel de cette vaste plateforme industrielle, joue l’effet d’une lanterne magique.
Le mouvement des hommes et des flux
Des trémies dessinées en demi-ellipse apportent un effet baroque, théâtral et mettent en valeur un béton brut réalisé avec soin. Fonctionnellement, elles servent de puits de lumière. Deux grands escaliers à volée droite sont disposés à chaque extrémité du couloir et mettent en scène la circulation des hommes et des câbles, la descente du sol au sous-sol.
Dans un intérieur de béton brut, tous les détails sont au service de la qualité architecturale : grilles de ventilation calepinées, choix des blocs de secours verticaux, garde-corps et portes intérieures en acier galvanisé, luminaires suspendus issus du registre industriel. L’emphase et la mise en scène de l’espace pour convaincre que l’architecture apporte du bien-être, de la beauté et du plaisir à ses utilisateurs.